• Afghanistan, une guerre business

    En avril 2008, au sommet de l’OTAN de Bucarest, Nicolas Sarkozy - qui avait pourtant déclaré, durant sa campagne présidentielle, que la présence française dans ce pays n’était pas essentielle à nos intérêts - accepte d’envoyer, à la demande des Etats-Unis, des troupes supplémentaires en Afghanistan, où 53 000 hommes de 40 pays sont déjà déployés sous l’égide de l’OTAN, aux côtés de 36 000 soldats américains, au sein de deux forces multinationales (Coalition-Opération Enduring Freedom et Force internationale d’assistance à la sécurité). Il faut rappeler que cette guerre interminable, perdue d’avance, a été engagée au départ à seule fin de garantir l’exploitation par la firme californienne Unocal (absorbée entre-temps par Chevron) du pipe-line devant relier la Caspienne à l’océan Indien via le Turkménistan, l’Afghanistan et le Pakistan. D’où l’installation à la tête de l’Etat afghan du président fantoche Hamid Karzaï, ex-agent de la CIA, ex-expert de l’Unocal chargé de superviser le projet de pipe-line trans-afghan. Cette guerre néocoloniale  a eu pour seul effet de stimuler le terrorisme au lieu de l’apaiser, et de renforcer les talibans au lieu de les affaiblir, tandis que la population locale se dressait de plus en plus contre l’occupation étrangère et que l’Afghanistan se transformait peu à peu en un Etat narcotrafiquant.

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    George W. Bush a commencé sa carrière dans les affaires pétrolières, au Texas. Le vice-président Dick Cheney a dirigé l'important groupe pétrolier Halliburton. Condoleezza Rice, conseillère pour la sécurité nationale du président, était au conseil d'administration de la compagnie Chevron.

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    Nicolas Sarkozy avec Laura Bush, Condoleezza Rice, l'Aga Khan, et Hamid Karzai à Paris, le 12 juin 2008. 

     

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    Condoleeza Rice et Sarkozy sur les marches de l'Elysée

     

    Tous trois sont très conscients de l'importance pétrostratégique d'une plus grande influence américaine en Asie centrale, ce qui passe par un gouvernement «ami» en Afghanistan. «A ma connaissance, déclarait déjà Dick Cheney en 1998, l'émergence soudaine d'une région comme la Caspienne, comme important acteur stratégique, n'a pas de précédent historique.» Dans le rapport sur la politique énergétique américaine , le vice-président réaffirmait cet optimisme, insistant sur la nécessité de «nouvelles routes commerciales pour l'exportation» dans la région.

     

    Les Etats-Unis rêvent depuis plusieurs années de favoriser l'acheminement des hydrocarbures de la mer Caspienne vers le marché mondial, qui leur permettrait de desserrer (un tout petit peu) leur dépendance vis-à-vis des pays de l'Opep. Les réserves connues de l'Azerbaïdjan, du Kazakhstan, du Turkménistan et de l'Ouzbékistan dépassent celles de la mer du Nord. Et, comme le remarque Fiona Hills, spécialiste de la région à la Brookings Institution, «la reprise de la violence au Moyen-Orient renforce un peu plus l'intérêt pour les ressources de la Caspienne». Selon elle, la victoire en Afghanistan peut donc «modifier sérieusement les cartes du jeu pétrolier».

     

    Voie afghane pour gaz turkmène

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    L'Afghanistan n'a elle même pas beaucoup de ressources: quelques petits gisements de gaz dans le Nord, près de la frontière turkmène. Mais les Etats-Unis, qui cherchent à casser le monopole russe sur le transport d'énergie dans la région, réfléchissent depuis des années à une «route afghane», permettant d'acheminer le gaz turkmène vers le Golfe ou l'Inde. C'était le coeur du projet d'Unocal, dont Zalmay Zhalilzad était le consultant. A travers sa filiale Central Asia Gas (CenGas), cette société californienne a cherché il y a quelques années à construire un pipeline en Afghanistan. En 1997, avec le soutien actif du gouvernement Clinton et des services secrets pakistanais, Unocal avait pris contact avec le régime taliban. Avec un peu de chance, pensait-on alors à Washington, les talibans pouvaient faire des partenaires aussi corrects que les Saoudiens.

     

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    Le projet était évalué à 2 milliards de dollars. Long de 1271 kilomètres, le pipeline devait relier les réserves de Dauletabad, au sud-est du Turkménistan, à Multan au Pakistan (au sud-ouest de Lahore). De là, le pétrole pouvait rejoindre le port de Karachi; ou bien, moyennant un investissement supplémentaire de 600 millions de dollars, être dirigé vers l'Inde, un pays dont la consommation d'énergie explose. L'affaire promettait d'être très juteuse. Elle dut être abandonnée après les attentats d'août 1998 contre les ambassades américaines en Tanzanie et au Kenya. Tant qu'Oussama ben Laden serait sur le sol afghan, avaient alors raisonné les banquiers du groupe (et la CIA), un tel projet était bien trop risqué. L'histoire leur a donné raison.

    Depuis la fin du système soviétique, l’OTAN n’a en réalité plus de raison d’être. Créée lors de la signature du traité de l’Atlantique-Nord, le 4 avril 1949, pour prémunir l’Europe occidentale contre la puissance russe, alors considérée comme une menace, cette organisation est un pur produit de la guerre froide. Lors de la chute du Mur de Berlin, elle aurait du être dissoute comme fut dissous le Pacte de Varsovie, pour une raison toute cartésienne : une alliance ne survit pas aux raisons qui l’ont fait naître. Il n’en fut rien, bien au contraire.

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    Le rideau de fer,la "menace soviétique" furent les prétextes utiles aux raisons d'être de l'Otan ,ses alliés et partisans.

    Loin de faire disparaître l’OTAN, les Américains ont redéfini sa mission, sans aucune concertation ni réflexion globale avec leurs alliés, en étendant toujours plus loin sa zone de compétence, et d’abord en direction de l’Europe centrale et orientale. Dans le conflit de l’ex-Yougoslavie, on vit ainsi l’Alliance atlantique prendre en main la gestion militaire de la crise, puis le contrôle de la mise en application des accords de paix.

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    « Dans l’Europe de l’après-guerre froide, il n’y avait plus de place pour un grand Etat socialiste indépendant qui résistait à la mondialisation »

    La guerre contre la Yougoslavie était une guerre économique, et pas du tout une guerre humanitaire, on en trouve une preuve de plus dans d’autres paragraphes de l’Accord de Rambouillet. Comme écrit dans le Guardian en 2005, le paragraphe 1 de l’Article I du chapitre quatre appelait à une « économie de marché » et le paragraphe 1 de l’article II à la privatisation de tous les actifs de l’État.

    Pourquoi cela a-t-il été inclus, si l’objectif était simplement de protéger les civils ?..:Le bombardement de la Yougoslavie, vingt ans après

     

    Pour le savoir, écoutons George Kenney, un ancien responsable du département d’État américain pour la Yougoslavie. « Dans l’Europe de l’après-guerre froide, il n’y avait plus de place pour un grand Etat socialiste indépendant qui résistait à la mondialisation », a déclaré M. Kenney, pour expliquer l’agression du pays.

    L’OTAN a ainsi complètement changé de nature. Elle projette désormais forces et puissance dans le « hors-zone », notamment à travers les programmes de « Partenariat pour la paix » et de « Dialogue méditerranéen ». Elle a parallèlement poursuivi sa marche vers l’Est, en violation formelle des assurances données par les Etats-Unis à Mikhaïl Gorbatchev lors de la réunification allemande. Dès le 11 septembre 2001, le président George W. Bush avait d’ailleurs pris position pour une « grande OTAN [...] de la Baltique à la mer Noire », afin de s’ouvrir la voie de la Caspienne et de la mer Noire. Ces orientations ont été confirmées au sommet atlantique de Prague, les 21 et 22 novembre 2002 : l’organisation atlantique passe alors clairement d’une perception géographie limitée à une perception fonctionnelle globale des enjeux de sécurité. La Déclaration de Prague stipule en effet que l’OTAN doit désormais pouvoir aligner des « forces capables de se déployer rapidement partout où elles sont nécessaires [...] de mener des opérations à longue distance et dans la durée ». On passe, en d’autres termes, d’une structure relativement statique à un modèle expéditionnaire d’interventions tous azimuts, les centres de gravité de la géostratégie mondiale glissant dans le même temps vers le Moyen-Orient et l’Asie.

     

     

    Les troupes françaises ont  été partie prenante dans la guerre de l’ex-Yougoslavie, tout comme elles l’avaient été dans la première guerre du Golfe. En 1999, la crise du Kosovo donne à l’OTAN l’occasion d’intervenir au moyen d’une offensive de bombardements aériens. La même année, trois pays issus de l’ancien bloc de l’Est, la Pologne, la République tchèque et la Hongrie, adhèrent à l’OTAN. Sept autres pays d’Europe centrale et orientale (Estonie, Lettonie, Lituanie, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie, Slovénie) les imiteront en mars 2004. Ces adhésions, nées d’une fascination pour l’Amérique et le système néolibéral, sont bien entendus encouragées par les Etats-Unis, qui souhaitent contrôler l’espace est et sud-est européen, comme pont vers la Caspienne et l’Asie centrale.

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    Tapa, Estonia. 20th Apr, 2017. French defence forces attend the ceremony to mark the beginning of services of the NATO battalion battle group at the Tapa Army Base in northern Estonia, on April 20, 2017. The NATO forces in Estonia on Thursday held a flag-raising ceremony and a military parade to mark the beginning of its services in the Baltic country.

    Pour répondre à cette nouvelle orientation, les structures de l’OTAN ont été modifiées. Jusqu’en 2003, les opérations militaires de l’OTAN se partageaient en deux grands commandements stratégiques, l’un et l’autre placés sous la direction d’un officier supérieur américain : le Commandement suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) et le Commandement suprême des forces alliées de l’Atlantique (SACLANT). Ce dernier a aujourd’hui cédé la place à un Commandement stratégique de la transformation (ACT), les alliés étant invités à participer à la création d’une Force de réaction rapide de l’OTAN comprenant 21 000 soldats appartenant à des unités européennes et susceptibles d’intervenir « partout où il le faudra ». Quant au SACEUR, basé au quartier général du SHAPE, il désigne désormais le Commandement Allié Opérations. Il est dirigé par un général américain assurant aussi le commandement des forces armées en Europe, dont le quartier général se trouve à Stuttgart.

     

     

     

    L’OTAN réunit aujourd’hui 24 pays européens et deux Etats nord-américains. Elle comprend 22.000 employés et 60.000 militaires permanents. Transformée en simple alliance politico-militaire des Occidentaux, cimentée par les « valeurs occidentales » et le postulat sans cesse réaffirmé d’une communauté d’intérêts « transatlantique », on peut la considérer comme une sorte de gendarme planétaire chargé de la défense des intérêts occidentaux. Hervé Morin souscrit à ce programme : « Que doit devenir l’OTAN ? [...] A mon sens, l’Alliance doit défendre un certain nombre de valeurs. Lesquelles ? Celle de la communauté euro-atlantique. Celle-ci repose sur des fondements philosophiques communs : le libéralisme, la démocratie, les droits de l’homme » (Le Nouvel Observateur ; 12 juin 2008, p. 67). Nicolas Sarkozy s’est également réclamé de ces « valeurs occidentales » dans son discours aux ambassadeurs de janvier 2008.

     

     

    C’est donc à cette nouvelle OTAN, devenue une coalition occidentale de légitimation diplomatique des entreprises américaines, qui a pour but de porter la guerre aux confins de la planète à seule fin de défendre les intérêts géostratégiques des Etats-Unis, que Nicolas Sarkozy a décidé de faire pleinement adhérer la France.

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    The last French troops in Afghanistan stand during their end of NATO mission ceremony at Kabul International Airport (KAIA) in Kabul on December 31, 2014. The last French troops in Afghanistan held a ceremony in Kabul on December 31, to mark the end of their deployment after NATO combat operations closed down and as a new "train and support" mission takes over. About 150 French soldiers who had been helping run the military airport handed over responsibility to a Turkish unit which will operate under the new NATO mission. AFP PHOTO / SHAH Marai (Photo credit should read SHAH MARAI/AFP/Getty Images) 

     Le retour de la France dans l’OTAN a  été salué à Washington, notamment par Gordon Johndroe et Tom Casey, porte-parole respectifs de la Maison Blanche et du département d’Etat. Les Américains, plus que jamais demandeurs de troupes, puisqu’ils ne peuvent plus faire face seuls à tous les théâtres de conflits où ils sont présents, se réjouissent par avance d’être mieux en position d’exiger de la France qu’elle s’associe plus étroitement à eux dans les guerres présentes (Afghanistan) comme dans les combats futurs...

     A découvrir sur le même sujet:

    Oui, la CIA est entrée en Afghanistan avant les Russes

    Lorsque les Soviétiques ont justifié leur intervention en affirmant qu’ils entendaient lutter contre une ingérence secrète des Etats-Unis en Afghanistan, personne ne les a crus. Pourtant il y avait un fond de vérité. 

    L’ancien directeur de la CIA Robert Gates l’affirme dans ses Mémoires : les services secrets américains ont commencé à aider les moudjahidines Afghans six mois avant l’intervention soviétique. 

     

    Notes:

    Le retour de la France dans l’OTAN : un cas de haute trahison

     

    « Les grandes entreprises veulent plus d'immigrationCulte de la performance,dégradation des conditions de travail »
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