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Communication partout, journalisme nulle part ?

 

Communication partout, journalisme nulle part ?

 

Absence d’enquête de terrain, «people-isation», perte de neutralité au profit d’un genre de militantisme, enquêtes à charge, dépendance totale envers la communication des agences gouvernementales et des industries, le journalisme tel que défini il y a 50 ans dans la Déclaration de Munich est en train de disparaître sous nos yeux, éclipsé par un «fact-checking» général aussi superficiel que biaisé.

 

Communication partout, journalisme nulle part ? Telle pourrait être une des formules – volontairement un peu provocatrice – aidant à problématiser l’évolution du journalisme contemporain dans un pays comme la France. Le problème était déjà résumé en 2014 par Christine Leteinturier (Université Paris 2) : « Le champ du journalisme est, en France, l’espace où l’affrontement entre information et communication est sans doute le plus fort. (…) L’émergence d’un ‘journalisme de communication’ au tournant des années 1990, consolidé par l’expansion rapide du Web, fragilise cette position d’indépendance des journalistes dans un univers médiatique désormais très largement dominé par des enjeux commerciaux ». Ce disant, il ne s’agit pas de critiquer quiconque en particulier, ni de mettre tout le monde dans le même panier (il y a environ 35 000 journalistes en France, dont un quart de pigistes et CDD très courts, comme le rappelait récemment le sociologue Erik Neveu), mais de réfléchir à une évolution générale. Le constat est en effet incontournable : depuis le début de la crise sanitaire, le traitement de l’information par la grande majorité des médias français ne respecte pas la plupart des principes déontologiques de la profession. Loin de jouer un quelconque rôle de contre-pouvoir, ils constituent au contraire les relais globalement très dociles, parfois même complaisants, de la communication gouvernementale. Il n’en a pas toujours été ainsi.

 

Il y a 50 ans, la Déclaration de Munich                       

 

C’est à Munich, en 1971, que les syndicats de journalistes des six pays constituant alors le marché commun européen (Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) adoptèrent la « Déclaration des devoirs et des droits des journalistes » à l’initiative d’un journaliste français, Paul Parisot (1917-2007). Ce dernier était un homme de gauche et grand résistant, journaliste à Franc-Tireur puis à France Soir et au Matin, élu président du Syndicat des Journalistes Français en 1964, devenu l’un des principaux artisans de la création de l’Union Nationale des Syndicats de Journalistes en 1966 et enfin de la Déclaration de Munich cinq ans plus tard. Relire ce texte fondateur 50 ans plus tard s’avère une lecture nécessaire quoique peu réjouissante tant ce temps paraît lointain.

 

Dans son préambule, la Déclaration de Munich commence par affirmer que « le droit à l’information, à la libre expression et à la critique est une des libertés fondamentales de tout être humain », que ce « droit du public de connaître les faits et les opinions » détermine « l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes » et que tout ceci « prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics ». Comme l’ont montré les historiens du journalisme tels Jean-Marie Charon (La presse en France de 1945 à nos jours, Seuil, 1991) ou Fabrice d’Almeida et Christian Delporte, Histoire des médias en France de la Grande Guerre à nos jours, Flammarion, 2003), au sortir de la guerre et de la Collaboration, Parisot et nombre de ses collègues sont particulièrement sensibles à l’emprise d’une part de la propagande des gouvernements, d’autre part de l’emprise des « puissances d’argent ». On sait que Parisot lui-même mena notamment un combat contre l’emprise croissante de l’homme politique et patron de presse Robert Hersant (1920-1996), dont le passé collaborationniste était alors dans toutes les mémoires, et dont les entreprises de presse sont aujourd’hui largement détenues par le groupe Dassault.

 

Cette Déclaration de Munich énonce les 10 devoirs que doit respecter « tout journaliste digne de ce nom », parmi lesquels ceux de :

 

« défendre la liberté de l’information, du commentaire et de la critique »

« ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations »

« s’obliger à respecter la vie privée des personnes »

« rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte »

« s’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information »

« ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste ; n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs »

« n’accepter de directives rédactionnelles que des responsables de la rédaction ».

Le moins que l’on puisse dire est que nombre de ces vertueux principes ont été régulièrement bafoués durant la « crise sanitaire » que nous vivons depuis un an et demi, et que les deux grandes préventions des fondateurs du journalisme moderne (la double mise à distance de la propagande des gouvernements et de l’influence des « puissances de l’argent ») ont quasiment disparues.

Par:

LAURENT MUCCHIELLI

Extrait de :

La crise sanitaire a révélé l’inquiétant déclin du journalisme

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