L’IA, « planche de salut du capitalisme »
Le contraste colossal entre les sommes engagées et le peu de certitudes quant aux bénéfices attendus s’explique également par la puissance de conviction des multinationales du numérique. Pour développer ces IA particulièrement gourmandes en ressources, elles doivent lever des investissements toujours plus exorbitants. Et pour justifier cette fuite en avant, les géants de la Big Tech, Alphabet (Google), Microsoft, Meta (Facebook) ou Amazon en tête, possèdent une force de frappe inégalée pour déployer leur propagande.
« Ce sont eux qui fixent l’agenda. Eux que les gouvernements consultent pour comprendre ces sujets. Ils entretiennent la course dont ils sont les acteurs, ce qui leur permet de dominer encore davantage le marché »
Projet élitiste et libertarien
Beaucoup d’acteurs phares du secteur croient vraiment, sincèrement, à l’arrivée de l’IA générale. C’est une croyance presque religieuse dans la Silicon Valley , note Nicolas Rougier, chercheur en neurosciences computationnelles à l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique).
« Cela participe du courant de pensée qui, depuis les années 1970 rêve de fusionner l’homme et la machine, et d’atteindre l’immortalité, ajoute-t-il. Pour eux et quelques élus uniquement évidemment. C’est un courant très élitiste. »
C’est un dernier moteur important qui permet de comprendre la dynamique actuelle : ces IA génératives sont la dernière incarnation du projet politique, technosolutionniste et libertarien, que rêvent d’imposer au monde les milliardaires de la tech.
« Avec l’IA et leurs capitalisations boursières impressionnantes, ces acteurs acquièrent un pouvoir considérable, économique mais aussi politique », dit Jean-Gabriel Ganascia, professeur à Sorbonne Université, à Paris, et chercheur en intelligence artificielle. « Ils ont l’ambition de démanteler l’État pour y substituer une nouvelle féodalité via leur pouvoir technologique et cette promesse que tous les problèmes seront solubles dans l’IA. »
Cette menace d’une prise du pouvoir par un nouveau technoféodalisme, pointée de plus en plus vivement dans le débat public, trouve sa meilleure allégorie en la personne d’Elon Musk. L’homme le plus riche du monde, égérie planétaire de l’extrême droite, a rejoint le gouvernement étasunien sous la houlette de Donald Trump et mène une sidérante politique de démantèlement accéléré de l’État fédéral.
Le multimilliardaire promettait la voiture 100 % autonome pour 2020 et des humains sur la planète Mars en 2021. Aucun de ces fantasmes ne s’est réalisé, mais Tesla et SpaceX, ses entreprises dans chacun de ces secteurs, ont magistralement prospéré. Lorsqu’il annonce l’avènement de l’IA générale pour 2026, rien n’oblige à le croire. La prophétie grandiloquente en dit en revanche beaucoup sur ses ambitions, et celle de ses pairs, pour l’avenir du monde.
Extrait de :
Ruée sur l’intelligence artificielle : une dangereuse illusion au service de la Big Tech