C’est une tradition qui fait la fierté d’Alain Minc, le conseiller des patrons. Chaque dimanche, ou presque, il téléphone à son "ami de trente ans" David de Rothschild à l’heure du thé. De quoi parlent-ils ? "Jamais de business, assure Alain Minc. Je ne suis plus en contrat avec la banque depuis au moins vingt ans." Notre petit doigt nous dit que ces deux-là ne se contentent tout de même pas de commenter les rencontres sportives.
Photo:David, le faiseur de président
La banque Rothschild, celle de Guy, avait déjà eu son président : Georges Pompidou. Son fils, lui, a été le patron d’Emmanuel Macron. Que lui a-t-il appris ? Peut-être l’art de la négo. "David est une formidable machine à produire du consensus", fait valoir Gérard Mestrallet, le président du conseil d’administration d’Engie. "Il sait aussi agir dans le plus grand secret", abonde Maurice Lévy, qui préside Publicis.
Vidéo:Quand Alain Minc conseillait à Rothschild d'embaucher Emmanuel Macron
Propre sur soi, à l’image de Macron, la banque Rothschild est aussi – bien qu’elle s’en défende – très liée au milieu politique, tout comme sa concurrente Lazard. Tissées par des études communes et des amitiés forgées dans les cercles du pouvoir, ces liaisons fructueuses en font parfois « des ministères bis de l’Industrie et de l’Economie. » Le nom de Rothschild a d’ailleurs longtemps charrié des images d’empire financier, ce qui poussera les socialistes à nationaliser la banque en 1982. La nomination de Macron au gouvernement n’en est que plus ironique.
1982, annus horribilis. La banque familiale à Paris est nationalisée. Mortifié, son dirigeant, Guy de Rothschild, s’exile aux Etats-Unis. Son fils David reste et reconstruit une autre banque. "Nous étions six, comme dans une start-up, mais nous avons réussi !", s’émerveille son cousin, Eric. Ajoutant, avec son charmant chuintement : "Merci, “Mittrand” !". La maison compte aujourd’hui 3.000 salariés et réalise un chiffre d’affaires de 1,4 milliard d’euros.
Photo:David de Rothschild avec Emmanuel Macron. Plus de trois ans comme banquier d'affaires pour la "maison".
A chaque changement de gouvernement, Rothschild réussit donc à placer quelques collaborateurs dans les petits papiers du pouvoir. On appelle cela « se mettre au service ». Macron est un ancien, il perpétue la tradition. Et il a laissé de tellement bons souvenirs que les banquiers ne sont pas près de l’oublier.
Le groupe Edmond de Rothschild (EDR), qu’Ariane dirige entre Genève et Paris, a beau avoir fait une belle année 2017 (les avoirs en gestion sont au plus haut historique, à 156 milliards d’euros ; et le bénéfice en hausse de 30%, à 65 millions), le Tout-Paris n’a pas de mots assez durs pour la qualifier. La raison ? Un choc des cultures. "Cette ancienne tradeuse formée à New York cultive un style direct qui tranche avec notre milieu feutré", estime un banquier d’affaires. De fait, elle n’a pas hésité à se séparer de grands noms de la finance comme Michel Cicurel, treize ans de maison, ou encore Christophe de Baker, qu’elle a limogé trois ans seulement après l’avoir débauché de HSBC à Londres.
Depuis qu’il a laissé les commandes d’EDR à sa femme, l’héritier de 54 ans ne vit que pour ses hobbies. Sur mer, avec son trimaran "Gitana 17", une merveille à 12 millions d’euros, qui fonce à 46 nœuds. Sur terre aussi : Benjamin possède l’une des plus belles collections de voitures au monde, qu’il abrite sous un chapiteau gonflable dans sa résidence de Favières, en Seine-et-Marne. Dont des Formule 1 Ferrari et, plus insolite, un véritable char d’assaut. La philanthropie, enfin : "Il siège toujours au conseil de l’hôpital ophtalmologique Rothschild, à Paris", rappelle son entourage. "Ce sont de belles passions, mais il ne faudrait pas qu’elles l’éloignent trop longtemps des affaires", s’inquiète son ami Laurent Dassault.
Chez Rothschild & Cie, les murs sont capitonnés et aucun document ne traîne ! Avoir un ancien salarié à l’Elysée, est-ce un atout ? "Sur le plan des affaires, non", assure Olivier Pécoux, managing partner de la banque. La preuve : la maison, craignant les accusations de conflit d’intérêts, se refuse depuis l’élection présidentielle à accepter tout mandat lié à l’Etat.
Chez Rothschild & Cie, tous le savent : le poste de numéro 1 est réservé à un membre de la famille, qui contrôle encore 49% du capital et 58% des droits de vote grâce à la holding Rothschild & Co. Depuis mi-mai, David a passé la main à son fils Alexandre, 37 ans. La mise en selle de ce brillant cavalier, champion de saut d’obstacles, s’est faite progressivement. "Il a fait ses preuves à l’international, notamment à Hong Kong, et sur de grands deals comme le rachat du Financial Times par le japonais Nikkei", fait valoir Olivier Pécoux.
La femme d’Alexandre, Olivia de Rothschild, née Bordeaux-Groult, est l’une des héritières du groupe Tipiak (198 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017). Et, là aussi, c’est une saga familiale. Thomas Groult vendait déjà des farines et des légumes cuits au XIXè siècle. Et le père d’Olivia , Robert Bordeaux-Groult, siège toujours au conseil de cette pépite de la banlieue nantaise.
Si vous déjeunez au restaurant 1920 de l’hôtel du Mont d’Arbois, à Megève, tentez le fameux "Retour de la ferme des 30 Arpents" sur le menu. Il y a des chances, en effet, que l’on vous serve un gibier chassé par Benjamin de Rothschild lui-même. Peu banal. "Le garde-chasse me prévient quand le baron a tiré un chevreuil, un daim ou une biche. Il me le fait suivre et je le prépare pour Monsieur ou pour les clients", explique Julien Gatillon, le chef doublement étoilé du restaurant. Ce dernier, formé chez Yannick Alléno au Meurice, a très habilement conçu sa carte autour des produits de la famille : "Les plantes comme le miel viennent du château de Pregny, en Suisse, le beurre et les fromages du Domaine des 30 Arpents, et notre huile d’olive provient de la propriété du baron en Afrique du Sud." Heureusement, le restaurant ne sert pas encore les fauves que Benjamin de Rothschild traque dans sa chasse, vaste comme un département français , en Afrique australe. Une suggestion à inscrire sur la prochaine carte ?
Entre les différents vins, champagnes et cuvées, il y en a pour tous les goûts. Le Mouton Cadet de Philippine reste le plus abordable. Mais son Mouton Rothschild et le Château Lafite qu’élaborent Eric et sa fille Saskia démarrent à plus de 600 euros le flacon, et certains millésimes dépassent les 100.000 euros.
Au siège de la Compagnie Edmond de Rothschild à Paris, difficile de passer à côté de cet immense tas de ferraille planté au milieu de la cour. Quésaco ? "Une œuvre d’art commandée par le baron Benjamin de Rothschild à l’artiste Philippe Druillet", nous renseigne la directrice des relations extérieures de la maison, Florence Gaubert. Cette pièce unique a été composée à partir d’un moteur de Concorde que le milliardaire a acheté aux enchères il y a quelques années. Elle est soutenue par cinq flèches, le symbole historique des Rothschild.
"Personne ne pourra me suspecter de ne pas être business friendly"
Emmanuel Macron aime l'entreprise. Cela s'entend lorsqu'à l'Élysée il s'adresse au préfet. "J'entends de vous que vous soyez des entrepreneurs de l'État"...
Notes:
https://www.capital.fr/entreprises-marches/les-petits-secrets-de-la-famille-rothschild-1290667