Une Caste dissout l’État de l’intérieur au profit des intérêts privés
Comment se fabrique et se perpétue l’oligarchie à la française.Une oligarchie qui, loin d’œuvrer dans l’intérêt général, cherche avant tout à conforter sa domination
Bernard-Henri Levy, Alain Minc, son épouse Sophie Boisrond et le Baron Eric de Rothschild
tout en se remplissant les poches au détriment de la Nation.
Nous sommes , en France, dans un capitalisme qui s’est converti au modèle anglo-saxon et qui est donc devenu beaucoup plus inégalitaire que par le passé, comme en témoigne la crise sociale historique que nous traversons avec le mouvement des gilets jaunes. Mais notre pays ne traverse pas qu’une crise sociale ; il traverse aussi une crise démocratique. Et si c’est le cas, c’est parce qu’un petit groupe de très hauts fonctionnaires, essentiellement issus de l’un des corps d’élite de Bercy, l’Inspection des finances, a réalisé au fil des ans, un double hold-up, d’abord sur la vie des affaires, ensuite sur le pouvoir.
Nicolas SARKOZY (mars-novembre 2004) : il succède à Francis Mer avec rang de ministre d'Etat. Reste huit mois à Bercy.
Le premier hold-up a été effectué grâce aux privatisations : les hauts fonctionnaires chargés de les conduire les ont souvent effectuées à leur propre profit puisqu’ils ont pris les commandes des groupes privatisés. Regardez par exemple les banques françaises : elles sont toutes aujourd’hui dirigées par des Inspecteurs des finances, qui ont déserté le service de l’intérêt général, et qui ont pactisé avec la finance. Et puis, plus récemment, certains de ces anciens hauts fonctionnaires qui étaient passés dans le privé sont revenus dans le public, et on a assisté à une sorte de privatisation des postes clefs de la République. Observez que le gouverneur de la Banque de France vient de BNP-Paribas ; le patron de la Caisse des Dépôts de l’assureur italien Generali ; le directeur de cabinet du ministre des Finances de la banque italienne Mediobanca ; le secrétaire général de l’Élysée du transporteur maritime MSC ; et Macron lui-même est emblématique de cela puisque, Inspecteur des finances, il est passé par la banque Rothschild avant de revenir vers la sphère publique.
C’est donc cela, la Caste : une petite oligarchie de hauts fonctionnaires qui a mis la main sur une partie de la vie des affaires, et qui, avec Macron, a maintenant aussi pris le pouvoir en France.
Vidéo:
Emmanuel Macron, est passé par la banque Rothschild. Pour Alain Minc, qui l'a chaudement recommandé à son ami David de Rothschild, le jeune inspecteur des finances possédait "toutes les qualités d'un banquier d'affaires".
L’épisode 1, celui des pantouflages, a permis à cette caste de prendre le contrôle de secteurs clefs de la vie économique, et tout particulièrement du secteur de la finance. Et puis l’épisode 2, celui des rétropantouflages, a permis aux mêmes de prendre en main tous les rouages de l’État, jusqu’au sommet.
Les rétropantouflages sont un phénomène nouveau, en tous cas par leur ampleur. Si nouveau qu’ils ont entraîné avec Macron un phénomène nouveau : une porosité générale entre l’intérêt général et les affaires privées. La muraille de Chine qui a presque toujours existé entre ces deux univers est en train de s’effondrer, entraînant une sorte de dissolution de l’intérieur de l’État au profit des intérêts privés. Et cette porosité généralisée est assumée puisque Macron propose que le temps passé dans le privé par un haut fonctionnaire qui revient ensuite vers la sphère publique soit pris en compte pour son avancement dans la fonction publique. C’est donc une implosion de la fonction publique qui est engagée.
Cette porosité généralisée débouche sur une cascade sans précédent de conflits d’intérêts, qui posent soit des problèmes éthiques, soit des problèmes de prise illégale d’intérêt, c’est-à-dire des problèmes pénaux. Et c’est vrai que le cas d’Alexis Kohler, l’actuel secrétaire général de l’Élysée, est très emblématique de cela. Car à deux reprises, en 2014, puis en 2016, il a voulu quitter ses fonctions de membre du cabinet ministériel (auprès de Moscovici dans le premier cas, de Macron dans le second), pour rejoindre comme secrétaire général le géant mondial du transport maritime, MSC, sans jamais dire qu’il était lié familialement à ce groupe. Pis que cela ! Auparavant, il était haut haut fonctionnaire à l’Agence des participations de l’État (la grande direction de Bercy qui gère les participations de l’État), et a siégé à ce titre comme représentant de l’État au conseil d’administration de STX (les chantiers navals de Saint-Nazaire), à une époque où MSC était son unique client ; et il a siégé à la même époque comme représentant de l’État au conseil de l’Établissement public du port du Havre, dont MSC était le principal opérateur. Or, dans les deux cas, il a également caché qu’il était lié d’un point de vue familial à ce groupe tout en votant des mesures en sa faveur. Pour finir, le scandale a fait tellement de vagues, du fait des révélations de Mediapart, que le parquet national financier a été contraint d’ouvrir une enquête préliminaire visant Alexis Kohler, qui est donc le principal collaborateur de Macron.
Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce n’est pas un cas isolé. Au contraire, la porosité généralisée à laquelle nous assistons génère des conflits d’intérêts de ce type en cascade. Je vous en donne juste une autre illustration, celle d’Emmanuel Moulin, l’actuel directeur de cabinet du ministre des Finances Bruno Le Maire. Ancien de la direction du Trésor, il a souhaité voici quelques années pantoufler : il a rejoint comme secrétaire général la banque italienne Mediobanca. Comme par hasard, cette banque a été choisie peu de temps après par le ministère des Finances comme banque-conseil pour conseiller l’État lors de la privatisation de l’aéroport de Nice. Or, on a découvert que cette même banque était aussi actionnaire minoritaire du consortium qui a gagné la privatisation. Épaulée par Emmanuel Moulin, issue de Bercy, la banque était donc en plein conflit d’intérêts, étant tout à la fois du côté du vendeur et du côté des acquéreurs. Ce qui est tout à fait choquant. Et comme si de rien n’était, Emmanuel Moulin a donc quelque temps après été coopté comme directeur de cabinet. Voilà où conduit cette porosité : à une prédation des intérêts publics par des intérêts privés.
la consanguinité est un trait distinctif depuis très longtemps du capitalisme français. Du capitalisme de connivence qui prévaut sous Napoléon le Petit jusqu’au capitalisme du Fouquet’s qui sévit sous le Petit Nicolas, ce sont les mêmes mélanges des genres que l’on constate. Mais avec Macron, on fait tout de même un pas de plus, spectaculaire, vers ce système poreux. Pour la bonne raison que le chef de l’État lui-même est l’un de ces hauts fonctionnaires essuie-glace, qui est venu de la sphère publique, avant d’aller s’enrichir chez Rothschild, puis de partir à la conquête du sommet de l’État. Avec lui, la porosité n’est pas une dérive. D’un seul coup, elle fait système.
Le capitalisme anglo-saxon est beaucoup plus inégalitaire que le capitalisme des Trente Glorieuses que la France a connu jusqu’à la fin des années 1970. La France a donc connu un choc immense en se convertissant à ses règles à partir du milieu des années 1980, car c’est une forme de capitalisme qui fait exercer une véritable tyrannie du capital sur le travail. C’est un capitalisme d’actionnaires dont la seule logique est le profit… pour les actionnaires.
Mais, en se ralliant à ce modèle, la France a fait un choix curieux : elle a importé certaines des règles de fonctionnement de ce capitalisme (le primat au profit des actionnaires ; les rémunérations insensées ; etc.) mais elle n’a pas importé certaines des autres caractéristiques de ce capitalisme anglo-saxon, qui sous la pression des marchés financiers pourchasse l’opacité et défend les principes de transparence, tout en pourchassant aussi toutes les situations de conflits d’intérêts.
En fin de compte, le capitalisme français est devenu un capitalisme hybride : il a copié le pire du capitalisme anglo-saxon (la tyrannie du capital ; les rémunérations hallucinantes pour les cadres dirigeants), mais il a gardé le pire du vieux capitalisme hexagonal (les conflits d’intérêts, l’opacité, la consanguinité…). C’est donc sur un terrain déjà très préparé que Macron a pu prendre le pouvoir et promouvoir un système de mélange des genres généralisés.
La France baigne depuis longtemps dans une culture de démocratie anémiée. C’est le legs de la monarchie, du bonapartisme, du gaullisme : nous vivons dans un système présidentialiste qui confère des pouvoirs absolument exorbitants au monarque républicain, et des pouvoirs dérisoires sinon nuls à tous les contre-pouvoirs ou autorités indépendantes. Observez ce que sont les prérogatives microscopiques du Parlement français . Alors oui, il existe des organismes pour contrôler la probité des élus. Mais certains de ces organismes sont récents. Dans le cas de la haute autorité pour la transparence de la vie publique – qui constitue une réelle avancée démocratique-c’est une création récente, survenue au lendemain du scandale Cahuzac. D’autres autorités ne sont indépendantes qu’en apparence. Comment voulez-vous qu’une autorité soit réellement indépendante quand son président et nommé par le chef de l’État et qu’il est souvent l’un de ses obligés ?
Une culture politique assez faiblement démocratique ; c’est une culture autoritaire, verticale, avec un chef qui décide de tout ; qui peut gouverner par ordonnance ; c’est la culture du « coup d’État permanent » que François Mitterrand avait en d’autres temps justement dénoncé, avant d’en faire un usage immodéré une fois au pouvoir. La France ne connaîtra une refondation démocratique que lorsqu’elle tournera le dos à ces pratiques. C’est l’une des revendications du mouvement des gilets jaunes, et elle est pour le moins la bienvenue.
Notes:
docu:Plongez dans l'univers très fermé des Rothschild. Un nom et une dynastie associée à l'argent et au pouvoir depuis deux cents ans et sept générations.